Le 9 octobre 1890, pour la première fois, un plus lourd que l’air décolle : l’Éole, de Clément Ader, à Armainvilliers. En 1903, le 17 décembre, les frères Wright réussissent le premier vol dirigé, en Caroline du Nord, puis Santos-Dumont, le 13 septembre 1906, près de Paris. Suivent Farman, Delagrange, Caudron, Blériot… et René Gasnier.
Né le 24 mars 1874 à Quimperlé où son père était magistrat, René Gasnier est très tôt attiré par tous les sports mécaniques. Déjà, il n’a qu’un désir : s’élever dans les airs. Il commence par sillonner l’Anjou sur un tricycle à vapeur, fait le tour du monde sur un trois-mâts… De la mer, il en vient à l’air, se trouve parmi les fondateurs de l’Aéro-Club de France, achète un ballon en 1904, est breveté pilote aéronaute en mai 1905.
La Manche en ballon

René Gasnier en 1908, dessiné par son frère Pierre. Cliché GPPAMusée régional de l’Air. Arch. mun. Angers, 74 Num.908, dessiné par son frère Pierre. Cliché GPPA-Musée régional de l’Air. Arch. mun. Angers, 74 Num.
Dès lors, entre 1905 et 1907, René Gasnier participe à de nombreuses courses, se classant presque toujours parmi les lauréats. En avril 1907, il franchit la Manche en ballon, dans le sens Angleterre-France, exploit éclipsé par la traversée de Blériot en avion deux ans plus tard. En octobre 1907, il termine septième de la prestigieuse course américaine de ballons, la coupe Gordon-Benett. Fasciné par le modernisme américain, il livre le récit de son voyage dans un livre à succès, « Villes américaines ».
Pour contribuer au développement de l’aérostation, quelques amis se regroupent le 1er mai 1907 et fondent le premier aéro-club de province, l’Aéro-Club angevin, transformé le 2 janvier 1908, sur proposition de L. Cointreau, en Aéro-Club de l’Ouest. Maurice de Farcy en est le président, Maurice Giffard le vice-président. La présidence d’honneur est offerte à René Gasnier.
Mais déjà ce dernier ne pense plus « ballon » : il construit son premier aéroplane. Sans avoir la formation d’un ingénieur – on ne sait rien de précis sur ses études – c’est un homme de planche à dessin qui sait traduire ses épures dans le bois et l’acier. Pas une pièce qui ne soit vérifiée par lui et ajustée de ses mains : il est lui-même son meilleur ouvrier et son pilote d’essai.
Faucher les marguerites…
Le 7 juillet 1908, « Le Patriote de l’Ouest » annonce que René Gasnier vient de terminer son aéroplane et donne quelques renseignements techniques sur l’appareil : biplan en forme de V, de 10 m d’envergure ; poids de 400 kg ; moteur Antoinette de 50 CV. Le journal conclut : « M. René Gasnier, qui, très connu dans les milieux aéronautiques parisiens, est un favorisé de la fortune, travaille […] dans le plus grand secret à son nouvel aéroplane dont il a fait au moins quarante modèles en petit, avant d’arriver à celui qu’il essaiera très prochainement. »
Les premières expériences débutent le 4 août dans la Grand Prée de la Haie-Longue, près de Rochefort-sur-Loire. Au sixième essai, le 9 septembre, le miracle arrive : « J’allai me placer, raconte son frère Pierre (1), à deux cents mètres du point de départ et me couchai sur l’herbe pour bien vérifier si les roues allaient quitter le sol. […] Nous sommes angoissés […]. Je vois l’appareil se soulever par petits bonds, puis s’élever aisément à deux ou trois mètres environ en passant devant moi. J’en éprouve une telle joie que je saute en l’air en levant les bras. »

Dernière mise au point par René Gasnier, sur son appareil n° 1, à la Haie-Longue. 1908. Cliché GPPA-Musée régional de l’Air. Arch. mun. Angers, 74 Num.
Victoire !
Chaque vol apporte ses mises au point. Au neuvième essai, le 17 septembre, l’appareil s’élève jusqu’à cinq à huit mètres de hauteur, selon les témoins, mais est subitement précipité au sol par la rupture d’un fil d’acier du croisillonnage. Le lendemain, le reporter du « Patriote de l’Ouest » titre : « L’aviation en Anjou. Victoire ! L’aéroplane de René Gasnier est réduit en miettes, mais notre concitoyen peut se classer désormais parmi les meilleurs aviateurs français. » Le pilote s’en tire avec de légères contusions. Il reconstruit aussitôt son appareil avec diverses améliorations. C’est le René-Gasnier n° III qui est exposé au musée régional de l’Air. Mais a-t-il volé sur cet avion ? L’automne venant, la Grand Prée est menacée par les inondations et René Gasnier songe à se faire le propagateur de l’aéronautique par d’autres moyens : conférences, formation de pilotes militaires à Pau, réunions aéronautiques.

Timbre édité à l’occasion du premier Grand prix d’aviation de l’Aéro-Club de France, 16-17 juin 1912. Arch. mun. Angers, 1 J 512.
Avec l’industriel Julien Bessonneau fils, il se multiplie pour organiser le premier meeting aérien de l’Anjou, du 3 au 6 juin 1910. La journée fait date. C’est la première course de ville à ville (Angers-Saumur). Les 16 et 17 juin 1912, nouvelle manifestation d’importance : le circuit d’Anjou, Angers-Saumur-Cholet-Angers, Grand prix de l’Aéro-Club de France. Malgré des nuages qui font « songer à la chevauchée des Walkyries », suivant l’expression de l’écrivain Colette, envoyée spéciale du journal « Le Matin », Roland Garros remporte le Grand Prix.
Avant de décéder à l’âge de 39 ans, le 3 octobre 1913, René Gasnier tient encore à venir signer lui-même – le 9 septembre – l’acte de cession du terrain qu’il donne à la ville pour construire une station d’atterrissage : le premier terrain d’aviation de l’Anjou, à Avrillé. Le 1er janvier 1913, il avait reçu la croix de chevalier de la Légion d’honneur, pour avoir « puissamment contribué […] au développement de la locomotion aérienne ».
Sylvain Bertoldi
Conservateur des Archives d’Angers